Charte de Neuchâtel

Vieille ville de Neuchâtel.

La Transkription est:

De cesta chosa
sont tesmoniages Renauz de Bavenz, Hyremanz dit de Fressen, W. li
marchianz et Girardons. Et à la plus grant certanitay de cesta chosa, je,
devanz dit Girar, hay dona cest lestres sielaes dou siel a religious ba
ron et honestou abés de Fontanna Andrer. Ce fu fet en l'ant de l'en_carnation
Nostre Seignor que li milliares coret per mil et .CCo. et sexante et quatrou ou
meis de juanier.
Traduction:

De ceci sont témoins Renaut de Bavans, Hyremanz de Fresens, W. li marchianz et Girardons. Et pour garantir cela, moi, le devant dit Girard, j'ai fait sceller ces lettres du sceau de l'homme religieux et honnête abbé de Fontaine-André. Ce fut fait dans l'année du Seigneur 1264, au mois de janvier.

Nous poursuivrons l'analyse de cette charte avec un exercice de recherche lexicographique appliqué à trois cas difficiles: un substantif, deux locutions et une phrase dont le sens est problématique.

    • tesmoniages (ligne 6)
      Cette forme qui pourrait être traduite au premier abord par "témoignage" signifie ici de toute évidence "témoins". Une première recherche de ce mot mène à GdfC, 748a où une petite notice en fin d'article mentionne un exemple similaire au nôtre, mais non sémantiquement glosé. Nous trouvons ensuite dans FEW 13/1, 285b, TESTIMONUM la forme dérivée témoignage. Les sens relevés ne conviennent pas dans cet acte. Le DMF s.v. tesmoignage (Dictionnaire du moyen français; v. http://www.atilf.fr/dmf/) et le DEAF s.v. tesmoignage (Dictionnaire étymologique de l'ancien français; v. http://www.deaf-page.de/index.php) ne connaissent pas non plus le sens "témoin". Dans la mesure où l'on peut exclure que la traduction soit "de cette chose sont témoignages Renaut", nous formulons deux hypothèses : (1) le scribe utilise de manière consciente le lexème tesmoniages avec le sens de "témoins"; Il s'agirait alors d'un emploi idiosyncrasique du substantif tesmoignage. (2) Le scribe a été influencé par la formulation plus courante que nous pouvons lire dans d'autres actes : "en témoignage des choses..." ; il aurait ainsi utilisé de manière tout à fait involontaire le lexème tesmoignage à la place d'une éventuelle forme temoins. La seconde hypothèse, celle d'une substitution erronée d'un mot par un autre de la même famille nous semble la plus probable.

  • religious baron et honestou abés (ligne 8 et 9)
    La difficulté ici réside dans le syntagme religious baron(que l'on relève, apposé au même personnage dans deux autres actes de Neuchâtel de 1268 et de 1285). Un baron, qui, selon le sens courant actuel, est un homme de la noblesse, un petit seigneur possédant une baronie, peut difficilement appartenir à l'ordre ecclésiastique. Mais puisqu'il est question ici de l'abbé de Fontaine-André, son statut de religieux ne peut être remis en question, il faut donc mieux comprendre le sens de baron. Dans Gdf 1, 589a, la définition donnée à baron est "homme distingué par sa naissance, par ses hautes qualités et surtout par sa bravoure". On constate que baron ne signifie pas forcément à l'époque médiévale une homme noble ou un seigneur, mais qu'il peut simplement signifier "homme", ce que confirme FEW 15/1, 68b baron ("homme brave, valeureux ; homme" (attesté depuis Roland)). Dans les textes médiévaux, on veillera donc systématiquement à ne pas se laisser influencer par la langue moderne.
  • Et covent li hai per ma foi donae estre bons werenz de cesta chosa devanz dita encontres toz, lou et hai ces hers (ligne 5 et 6)
    La partie la plus évidente de cette phrase est estre bons werenz de cesta chosa devanz dita encontre toz. Ici, le substantif werenz signifie "garant", la graphie montre un maintien du w germanique issu de l'étymon werjan (FEW 17, 563a). Pour la recherche lexicographique, il ne faut donc pas oublier la possibilité du maintien du w germanique qui est devenu g en français moderne. Il faut alors chercher le lexème sous des entrées avec une initiale g. Notons que s final dans bons et z dans werenz sont des marques de flexion du cas sujet et non de pluriel. Cette séquence peut alors être traduite par "être bon garant de cette chose devant dite encontre tous".
    Ensuite, lou et hai ces hers est un peu plus compliqué, l'identification des formes peut en effet poser problème. Pour lou, la ligne 2 propose exactement la même forme. Il s'agit du pronom personnel régime masculin accentué de la 3e pers. du sing. (fr. mod. lui). Dans notre séquence, la préposition à (ici graphiée hai) précède seulement ces hers. Hers est un substantif fréquent dans les documents administratifs mais difficile à identifier ici de par sa forme graphique particulière. Nous ne le trouvons pas dans le Gdf, ni dans le FEW sous cette forme. Nous sommes ici obligés d'avoir recours à l'excellent moteur de recherche du DMF (Dictionnaire du moyen français, v. plus haut) qui identifie que hers est une forme possible du substantif hoir, signifiant "héritier". On trouve alors ce mot dans Gdf 9, 769c et FEW 4, 412b. Cette séquence signifie par conséquent "à lui et à ses héritiers".
    On terminera avec le début de la phrase Et covent li hai per ma foi donae qui est la partie la plus difficile à traiter. Ici, nous pouvons relever deux formes verbales évidentes : hai et donae. Contrairement à ce que nous avons vu précédemment, hai ici n'est pas la préposition "à", mais l'auxiliaire avoir à la 1re personne du singulier du présent de l'indicatif. Comme fréquemment au Moyen Âge, le pronom personnel sujet est omis. li est une forme inaccentuée du pronom personnel régime masculin de la 3e pers. du sing. (fr. mod. lui). Donc, li hai peut être traduit par "je lui ai". Par conséquent, on tend à mettre en lien intuitivement li hai avec la seule autre forme verbale à proximité, à savoir donae, afin de constituer une forme du passé composé du type "je lui ai donné". Mais, le problème est ici que la finale en aede donae suggère qu'il est question d'une forme féminine et celle-ci ne peut aucunement être liée à li hay mais au contraire être mise en lien avec le syntagme per ma foi. "Par ma foi donnée", est en effet un syntagme tout à fait cohérent qui signifie "par mon serment".
    Mais le problème du sens de li hay demeure, car seul, il ne fait pas sens dans la phrase. Il faut donc le mettre en lien avec le dernier élément proche à disposition, à savoir covent. La recherche nous mène dans Gdf2, 348c s.v. covent au sens de "promesse, engagement", En lisant l'article de Gdf, nous constatons qu'une construction similaire a été relevée par le lexicographe. En effet, en fin de colonne nous pouvons lire : « – Avoir covent, avoir promis, comme si covent était ici un part. passé. » Les exemples fournis par le dictionnaire proposent le même type de formation que celle que nous essayons de comprendre ici. Dans FEW 2, 1130b, nous lisons aussi « Afr. avoir (en) couvent "avoir pris l'engagement, avoir promis". » avec une note proposant aussi de comprendre covent non pas comme un substantif mais bien comme une forme particulière du participe passé. Pour conclure, il s'agit selon nous d'une locution verbale qui se construit de manière préférentielle avec complément d'objet indirect (ici et ailleurs représenté par le pronom personnel régime indirect inaccentué li).
    Enfin, en remettant les éléments de cette phrase ensemble, nous pouvons la traduire par :"Et j'ai pris l'engagement auprès de lui par ma foi donnée d'être bon garant de cette chose envers lui et ses héritiers contre tous". Pour paraphraser, l'auteur déclare ici qu'il protègera le bénéficiaire et ses héritiers de l'acensement dont il est question contre tous ceux qui tenteront de remettre en cause cet accord juridique.